Cette année a été plus fraîche et plus humide que d'ordinaire. Nous avons eu droit à une généreuse dose des habituelles averses d'avril, à une deuxième moitié de juin inhabituellement humide et à une tempête de grêle exceptionnelle à la mi-juin qui a anéanti les grappes de raisin naissantes de bon nombre de nos voisins, mais a épargné Quinta do Tedo.
Le mois d'août a apporté ces journées torrides de 40°C/105°F qui confirment le dicton local selon lequel "une année dans la vallée du Douro est constituée de neuf mois d'hiver et de trois mois d'enfer", mais seulement pendant environ une semaine. Le reste de l'été a été doux, avec des nuits fraîches et venteuses qui (grâce aussi à notre nouveau chef de culture, Angêlo) ont éloigné l'oïdium et le mildiou de nos raisins biologiques en pleine maturation.
Il a été un peu difficile de décider du début de la cueillette avec les nuages qui planaient au-dessus de nos prévisions de récolte. Nous sommes habitués à ce que les prévisions météorologiques locales soient incompatibles avec la réalité (que quelqu'un donne un expresso à ces météorologues !), mais nous comprenons aussi que les différents microclimats du Douro, qu'il s'agisse des rivières, des pentes, des vallées ou des collines, rendent les prévisions difficiles : il peut faire beau à Tedo et pleuvoir 15 minutes en amont à Pinhão.
Le ban (début) des vendanges a eu lieu le 31 août, soit un peu plus tôt que d'habitude et presque un mois plus tôt qu'il y a plus de 100 ans ! À l'époque, les producteurs appréciaient la forte teneur en sucre et le potentiel alcoolique des raisins surmûris ; aujourd'hui, nous recherchons la fraîcheur et l'équilibre de raisins parfaitement mûrs. Nous avons commencé par nos vinhas velhas - un amalgame de parcelles âgées de 40 à 65 ans et plus, avec des systèmes racinaires profonds, de faibles rendements et de petites grumes qui obtiennent plus vite des tanins plus mûrs et une plus grande concentration. On ne peut ignorer une belle grappe de raisin qui crie "cueillez-moi !".
La récolte s'est faite par à-coups, entre la pluie et le soleil, alors que nous attendions le meilleur moment pour cueillir nos différentes parcelles de vignoble et les plus de 18 cépages indigènes, au cours des deux semaines qui suivirent. Nos vignes assoiffées ont absorbé juste assez d'eau pour donner un coup de fouet au jus et à l'acidité de nos raisins, dont les sucres se sont reconcentrés pendant les journées ensoleillées intermittentes.
Le 14 septembre, nous avons célébré la dernière cueillette avec notre équipe de vendangeurs, d’un verre de Fine Tawny et des fritas (beignets plats saupoudrés de cannelle et de sucre) faits maison par Adelaïde, la cuisinière du personnel, et d’un fado (chant populaire) improvisé par Carlota, une vendangeuse de la proche bourgade de Folgosa. En 2021, les abondantes récoltes de raisins de belle qualité sanitaire donneront de délicieux Portos et vins Douro DOC !
Chaque récolte est différente - ainsi est la nature, la beauté et le défi du monde du vin. Ce qui ne change pas, c'est l'excitation, le dur labeur et la célébration qu'apporte l’époque des vendanges. Après une année 2020 très calme, nous étions si heureux de partager tout cela avec d’autres.
Nous avons reçu un joyeux coup de main dans nos vignobles et nos lagares de la part du groupe folklorique voisin venant de la ville d’Armamar, Rogas Para o Douro, et des premiers participants à notre expérience inaugurale d'une demi-journée de vendanges avec la propriétaire Kay Bouchard.
Historiquement, les rogas étaient composés de groupes de 40 à 50 hommes, femmes et enfants qui parcouraient des kilomètres à pied depuis de petits villages perchés dans les collines et de régions voisines, pour cueillir et fouler le raisin sous une chaleur étouffante, dans les quintas de la vallée du Douro.
Les chants traditionnels, les rations quotidiennes de poisson frit (moins cher que la viande), de soupe, de massa lavradora (pâtes consistantes avec des haricots) et de vin en pichet, ainsi que les bavardages à travers les vignes avec les amis et la famille, leur permettaient d'accomplir des journées harassantes du lever au coucher du soleil. Ils étaient également logés modestement et recevaient (parfois) un salaire de misère, mais ce que ces travailleurs chérissaient le plus, c'était la possibilité d'échapper à leur quotidien pendant quelques semaines dans cette région magique que nous, qui passons tant de temps ici, considérons parfois comme acquise.
À la fin des vendanges, les rogas remerciaient les propriétaires de Quinta par des chants, des danses et un mât décoré de fleurs, de raisins, de papier coloré et de bonbons rebuçado suspendus (les femmes en fabriquent et en vendent encore à l'extérieur de la gare ferroviaire de Régua ! À l'époque de la dictature de Salazar, le système de castes, fortement ancré dans le Douro, était considéré comme particulièrement arriéré, même selon les critères portugais.
J'ai demandé aux femmes du groupe folklorique comment elles pouvaient supporter la chaleur, en cueillant les raisins, tout en portant des chaussettes de laine et des robes de plusieurs épaisseurs. Celles-ci les protégeaient des piqûres d'insectes mais également leur assurait la possibilité de se cacher pour se soulager sous leurs robes, car leur surveillant ne leur permettait pas de faire des pauses toilettes. Les hommes portaient des chaussures de cuir rigides et transportaient sur leurs épaules des paniers tressés de 60 à 70 kg de raisin sur des terrasses escarpées au rythme du tambour.
Le foulage au pied dans les lagares, qui est toujours considéré comme la meilleure façon d'extraire les qualités les plus fines et les moins amères du raisin, était un travail uniquement réservé aux hommes. En commençant par le corte, ils marchaient silencieusement en ligne serrée, épaule contre épaule, d'avant en arrière. Puis, pendant la liberdade, ils chantaient et dansaient librement au rythme de l'accordéon et du tambour.
Deux membres du groupe folklorique ont raconté qu'il y a 60 ans, l'école primaire de leur petite ville voisine comptait 40 élèves, alors qu'aujourd'hui, ils ne sont plus que deux. Avec l'exode des jeunes du Douro vers les villes à la recherche de meilleures écoles, de meilleurs emplois et de meilleurs salaires, nous risquons de perdre cette main-d'œuvre locale et le patrimoine précieux et peu documenté qu'elle détient.
Alors que Quinta do Tedo a gardé des relations étroites avec les villes voisines d'où provient notre précieuse main-d'œuvre, d'autres Quintas ont eu recours à des travailleurs migrants moins chers. Nous nous efforçons de travailler avec les habitants de la région pour leur construire un avenir dans la vallée du Douro dans lequel ils pourront se sentir heureux, en bonne santé, prospères et appréciés. Nous sommes honorés de soutenir et de présenter les efforts de ce groupe folklorique pour préserver les particularités de ses merveilleuses traditions.
Nous vous encourageons à en apprendre plus sur ces traditions, en visitant le Museu do Douro à Régua, en lisant le livre de Miguel Torga, géant de la littérature portugaise du XIXe siècle, "Vindima" ("Vendanges" dans sa version traduite), et en regardant le documentaire de 2021 "A Wonderful Kingdom" (« un Magnifique Royaume ») [disponible sur Apple TV et Amazon Prime.]